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HABITATIONS GAULOISES ET VILLAS LATINES

HABITATIONS GAULOISES ET VILLAS LATINES DANS LA CITÉ DES MÉDIOMATRICES


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ETUDE SUR LE DEVELOPPEMENT DE LA CIVILISATION GALLO-ROMAINE DANS UNE PROVINCE GAULOISE

AVEC PLANS
PAR Albert GRENIER

agrégé de l'université

élève diplômé de la section d'histoire et de philologie

de l'école pratique des hautes études

PARIS
LIBRAIRIE HONORÉ CHAMPION, ÉDITEUR

5, QUAI MALAQUAIS

1906 Forme le 157° fascicule de la Bibliothèque de l'Ecole des Hautes Eludes

A MES MAITRES

de l'université de nancy

de l'école des hautes études

et du collège de france

ET A MES AMIS LORRAINS

Source http://www.archive.org/stream/habitationsgaulo00gren/habitationsgaulo00gren_djvu.txt

HAPITRE PREMIER
Le Pays des Médiomatrices et les Médiomatrices.



i° Description géographique. — Les limites de la cité des Médioma-
trices.

■2° Le peuple des Médiomatrices. — Son histoire. — La civilisation ro-
maine et les traditions indigènes.



La jonction des deux vallées de la Moselle et de la Seille
forme le cœur du pays des Médiomatrices. C'est sur la hau-
teur dominant la vaste plaine sablonneuse où se rencon-
trent les deux rivières, que fut établi, dès l'époque gau-
loise, l'oppidum de jDivodurum, capitale de la cité.

Vers l'ouest, jusqu'aux côtes de Meuse, s'étend un vaste
plateau decalcaire oolithique,peu accidentéettrèsapteà la
culture. A l'est, des plaines où dominent les marnes [Keu-
per) et plus loin le calcaire coquillier (Musckelkalk), con-
duisent jusqu'aux Vosges. Entre la Seille qui les borde au
sud, et la Sarre qui les entoure à l'est et au nord, l'Albe,
la Rosselle et les deux Nied s établissent. de larges passages.
A. Grenier. Habitations gauloises. 2



— 18 —

Ces terres, d'une fertilité moyenne, ont de tons temps
constitué un pays agricole par excellence.

Une ceinture de terrains gréseux et accidentés, encadre
à Test ce pays de plaines. Elle reparaît au nord entre Sar-
re briïck et Saint- A vold, et se continue tout le long du cours de
la Sarre. Ces grès marquent la limite des pays montagneux et
forestiers. A Test, ils forment la chaîne des Vosges. Ses
forêts dessinent la frontière que ne dépasse pas la popula-
tion médiomatrice. De nouvelles forêts, au nord du pays,
bordent la Sarre de la Rosselle à la Nied, couvrent le pla-
teau qui sépare la Sarre de la vallée de la Moselle, et se
prolongent au loin vers l'ouest. Les forêts actuelles de
Moyeuvre, de Caldenhoven, etde Warndt, ne sont plus que
de faibles vestiges de celles, qui à l'époque ancienne, en-
serraient le pays presque de trois côtés.

Ces forêts formaient les frontières naturelles du pays,
frontières vagues et indéterminées à l'époque gauloise,
mais que ne put manquer de préciser l'administration ro-
maine. Ce sont les limites de l'époque gauloise que décrit
Strabon. « Au nord du pays des Helvètes, dit-il, les Sé-
« quanes puis les Médiomatrices sont établis sur la rive
« gauche du Rhin. Une peuplade germanique, les Tribo-
« ques, occupe d'ailleurs la partie de leur territoire qui est
« contiguë au fleuve.... Au sud et à l'ouest du pays des
« Médiomatrices habitent les Leukes et les Lingons... ; au
« nord, les Trévires » (1).

CHAPITRE VI



RÉPARTITION DES VlLLAS URBAINES



i<> Les ruines de villas urbaines trouvées dans les différentes régions de

la cité des Médiomatrices.
2» Date des villas urbaines. Les grandes villas et les latifundia.
3o Survivance de la villa gallo-romaine au Moyen âge: l'abbaye et la

commune rurale.



Répartition des villas urbaines dans la cité des Médioma-
trices. — Les grands établissements analogues à ceux de
Rouhling, de Mackwiller, de Saint-Ulrich et de Teting ne
semblent pas avoir constitué des exceptions dans le pays
des Médiomatrices. Un certain nombre des ruines gallo-
romaines qui y ont été relevées, à en juger par la vaste
superficie qu'elles couvrent, sont celles de villas de luxe.
Il est sans doute assez dillicile, lorsque aucune fouille n'a
eu lieu, de se prononcer avec certitude sur le caractère
des villas dont quelques débris seulement nous conservent
la trace. Nous avons mentionné, lorsque nous avons étu-
dié la répartition des villas rustiques, tous les restes de
constructions qu'aucun indice certain ne nous forçait à
exclure de la liste des petites villas. Nous nous bornerons à
citer ici, ceux que leurs dimensions ou la nature des débris
qui s'y rencontrent, nous désignent clairement comme
ayant appartenu à de grandes villas urbaines.

Les substructions de cette nature sont fort rares dans
toute la vallée de la Moselle, dans la basse vallée de la
Seille et dans toute la région qui avoisine Metz. On n'a
signalé qu'à Montoy, petit village situé à 7 km. au nord-est



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de la ville, sur la grande voie qui conduisait à Trêves,
les restes d'un hvpocauste (1).

De l'habitation mêmeaueune partie n'a pu être dégagée.
Les ruines de villas rustiques sont d'ailleurs également
rares dans cette partie de la cité. Nous avons exposé les
raisons de cette pauvreté archéologique.

Les vestiges d'habitations gallo-romaines se multiplient
aux abords de la forêt de Galdenhoven. Nous avons indi-
qué que ceux que l'on rencontre entre Launsdorf et Flat-
tai, pouvaient appartenir à une grande villa, aussi bien
qu'à un groupe d'établissements plus petits. Peut-être en
était-il de même de la villa située au-dessus de Laumes-
feld (2). Nous n'osons arguer de la présence de mosaï-
ques dans quelques-unes des villas riveraines de la Nied,
à Gerstling, à Niedaltdorf, pour y reconnaître des villas de
luxe (3).

Quant à celles des nombreuses villas de la région des
salines qui semblent différer des villas rustiques, les ren-
seignements que nous possédons sur elles sont trop va-
gues pour nous permettre d'en préciser le caractère (4).

Nous pouvons, au contraire, indiquer avec certitude
l'existence d'une grande villa de luxe auprès de Sentry,
sur la pente des hauteurs que couronne la forêt de Ré-
milly. On n'en a cependant retrouvé, avec des débris
indistincts, qu'un chapiteau gigantesque, de 1 ,n 1 5 de dia-
mètre (5). Il ne pouvait appartenir qu'à une colonne
d'environ 20 mètres de hauteur. Aucune circonstance ne
saurait expliquer en cet endroit la présence d'un temple
d'une architecture aussi colossale.

Nous devons également admettre la présence d'une
villa de luxe, sur la rive gauche de la Nied allemande, à
Edeling, non loin de Teting. Les ruines s'étendent sur une
surface de près de 200 mètres de long, sur 80 de large.
Seule, une petite salle de 2 ra 55 de long, sur 2 m i0 de large,

(i) Mém. Soc. Arch. et Hist. Mos., XVII, n5. Cf. Austrasie, i83g,
p. 385. Pierres tumulaires trouvées à proximité de l'endroit où s'est
rencontre Phypocauste.

(2) Cf. supra, p. 96, 97.

(3) Cf. supra, p. q8.

(4) Cf. supra, p. to5, 106.

(5) Austrasie, VJII (1860), p. 5io. Puost, Rev. Arch., 1879, I, fig 7.



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faisant partie probablement des bains de la villa, en a été
déo-ao-ée. Parmi les tessons de vases et les morceaux de
briques, se sont retrouvés de nombreux fragments de
marbre (1).

Non loin du Héraple (2), oppidum fortifié, dominant à
la fois la vallée de la liosselle à l'ouest et le plateau acci-
denté qui s'étend vers l'est jusqu'à la Sarre, nous rencon-
trons d'autres ruines qui n'ont pu appartenir qu'à une
villa de luxe. Elles sont situées sur le ban de l'ancien vil-
lage de Guirling (3), près du village actuel de Théding.
Elles ne sont distantes que d'une dizaine de kilomètres de
celles de la villa de Rouhling. Les moellons, débris de
tuiles, mêlés de fûts de colonnes et de plaques de marbre
ayant servi de revêtement, couvrent une superficie d'en-
viron 100 mètres de long, sur 50 de large. Les fouilles à
peine ébauchées, ont dégagé les aires bétonnées de deux
salles appartenant probablement aux bains de la villa.
Une conduite d'eau, taillée dans des blocs de grès longe
ces salles. Elle mesure environ 40 mètres de long, et
amenait l'eau d'une source située à proximité.

Ces cinq villas de Sentry, d'Edeling, de Teting, de Guir-
ling et de Rouhling, semblent avoir été disposées le long
d'une même route qui, de Metz aurait gagné Mayence, par
la vallée de la Blies. Le Héraple était certainement une
station de cette voie. Des chemins nombreux se ramifient
autour de lui dans tout le quadrilatère formé par la Ros-
selle et la boucle de la Sarre. Cet oppidum, dont les
fouilles en cours font reconnaître de plus en plus l'impor-
tance, semble avoir été le centre religieux, commercial et
militaire de toute la région nord-ouest du pays médioma-

(i) Kraus, Die Kunstdenkm'dler des Reichslands Elsass-Lothringen,
T. III.

(2) Les fouilles entreprises au Héraple, depuis 1881 par M. Huber (de
Sarreguemines) y ont l'ait découvrir une sorte de petit Mont-Beuvray.
Un temple occupait le centre de ce plateau escarpé et isolé. De nom-
breuses habitations se groupaient tout autour. Une enceinte fortifiée
enserrait le tout. Cf. Ann. Soc. Hist. et Arch. Lorv., 1894, p. 296 sqq;
1899, p. 3i4 sqq; 1902, p. 319-340. Mém. Soc. Antiq. de France, LUI
(1894).

(3) Le village de Guirling, situé jadis au nord-est des ruines de la
villa a disparu à la suite de la guerre de Trente ans. Cf. .1////. Soc. Hist.
et Arch. Lorr., 1902, p. 328, note 1.

A. Greniek. Habitations gauloises. 12



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trice. Il devait être également en communication directe,
par la vallée de l'Eichel, affluent de droite de la Sarre,
avec la contrée où se rencontrent les ruines de la villa de
Mackwiller, et à peu de distance de cette dernière, au
Hemst, près de Bouquenom, les restes d'une autre villa
du même genre (1). Toute la vallée de la Sarre, avec Sar-
rebourg, Lorquin, les nombreuses villas situées dans ces
parages et en particulier la grande villa de Saint-Ulrich,
se trouvait en relations faciles avec ce centre naturel. Il
était pour toute cette partie du pays, la clef des commu-
nications avec Trêves et^Mayence.

Nous pouvons remarquer que les ruines des établisse-
ments qui furent à coup sur de grandes villas urbaines ne
sont pas, tant s'en faut, situées dans les régions les plus
riches du pays. Les abords de la forêt de Rémilly et de la
Sarre où elles se rencontrent, ne sauraient compter parmi
les plus favorisées.

Peut être, un certain isolement semblait-il, aux riches
propriétaires capables de se bâtir de ces somptueuses ha-
bitations de plaisance, nécessaire au charme de leurs vil-
légiatures. Ou plutôt n'était-ce pas surtout dans les ré-
gions les plus écartées de la capitale de la cité, et les
moins peuplées, que pouvaient se constituer le plus faci-
lement les très grands domaines, condition nécessaire à
l'existence de très grandes villas ?

On ne saurait cependant affirmer que les villas urbaines
aient été exactement localisées dans les parties de la cité
des Médiomatrices où nous en rencontrons aujourd'hui les
ruines ? Se trouvaient-elles, au contraire, comme les villas
rustiques, réparties à peu près également sur tous les points
du territoire. Il nous est impossible d'en décider. Les
exemples bien caractérisés de ce genre de villas, n'ont pu
être que trop rarement reconnus pour permettre quelque
affirmation.



(i) liai Ici. Soc. Arch. et Hist. Mon., III (1860), p. 191. Simple note si-
gnalantau Hemst, La découverte des fondations d'une villa romaine assez
étendue et comprenant des bains.



179 —



*



Date des villas urbaines. Les latifundia dans la cité des
Médiomatrices . — Tandis qu'il nous a été impossible de
fixer l'époque à laquelle a commencé dans la cité des
Médiomatrices, la construction des villas rustiques, les
indices fournis par le plan et le style des décorations des
villas de luxe, nous ont permis d'assigner à la plus ancienne
d'entre elles, une date qui ne remonte pas au-delà du
in siècle. Seule entre toutes, cette villa de Saint-Ulrich,
semble avoir traversé la crise de 275. Aucune autre ne
porte comme elle la trace de restaurations, et ne paraît
par conséquent antérieure à l'invasion. Toutes les particu-
larités des villas urbaines concordent au contraire pour
indiquer comme date de leur construction la renaissance
brillante de la Gaule, sous Constance Chlore et Constan-
tin. Elles ne s'élèvent dans les campagnes, qu'au moment
où l'on y rebâtit quelques-unes des petites villas. Le genre
d'établissements auquel appartiennent les villas urbaines,
semble donc d'une façon générale postérieur aux petites
villas rustiques. A en juger par les exemplaires actuelle-
ment connus, il n'apparait dans le pays que dans le cours
du 111 e siècle. Il ne devient courant qu'à la fin de ce même
siècle, et au début du iv e siècle.

Les monnaies qui ont été trouvées dans les ruines des
villas urbaines, s'arrêtent, la plupart du temps, comme
d'ailleurs à Cheminot et à Betting, à la première moitié
du iv e siècle. Les grandes villas, pas plus que les petites
n'ont pu échapper aux désastres de l'invasion de 350.
Tous les monuments de la civilisation latine, ont péri à cette
époque, d'une catastrophe commune, avec la chute de la
puissance romaine dans la cité des Médiomatrices. Une
monnaie de Gratiens'est cependantrencontrée à Rouhling.
L'ne autre du même empereur avait été trouvée à Sorbey.
Elles se rapportent sans doute, l'une et l'autre, aux efforts
éphémères de reprise de l'exploitation rurale, qui durent
suivre le triomphe des armes de Julien. C'est d'une tenta-
tive de ce genre que la restauration dune partie des bâti-
ments de la villa de Rouhling, semble nous avoir conservé
la trace. La rareté de ces monnaies, le caractère absolument



— 180 —

exceptionnel des travaux de reconstruction dont nous trou-
vons un exemple à Ilouhling, indiquent bien, que le pays
épuisé ne parvint pas à se relever des ruines accumulées
en 350.

Les deux invasions de 275 et de 350, marquent donc le
commencement et la fin de l'existence des villas urbaines
dans la cité des Médiomatrices. La coïncidence qui date
de la même période de troubles, la disparition d'un bon
nombre de petites villas et l'extension des grandes, nous
semble tout particulièrement intéressante à constater. Les
très grands domaines et le régime de la grande propriété
dont les villas urbaines sont l'expression, n'ont pu se
constituer, en etfet, que par la ruine des exploitations
agricoles de moindres proportions qui les avaient précé-
dées. Les raisons politiques et économiques qui ont con-
tribué à cette transformation sont communes à tout l'em-
pire romain. Elles ont été fréquemment étudiées (1). Il ne
nous appartient donc pas d'y revenir ici. Qu'il nous suffise
de remarquer l'influence considérable exercée dans la
cité des Médiomatrices par les premières invasions bar-
bares. C'est elles qui y hâtèrent le développement de la
grande propriété et la propagation du mouvement social
qui en fut la conséquence.

De tout temps, le pays messin a souffert particulière-
ment du voisinage des nations germaniques. Il semble
avoir très vivement ressenti les effets de l'interruption
violente de toutes les conditions de l'existence normale que
subit la Gaule entre les années 275 et 286. Chaque nouvelle
bande germaine devait recommencer dans cette Marche
frontière le pillage des ruines laissées par celles qui
l'avaient précédée. Tandis que les avant-gardes poussaient
leurs incursions jusqu'aux Alpes et aux Pyrénées, l'éclipsé
de la puissance romaine laissait au gros des envahisseurs,
le loisirde s'établir à demeure dans les pays conquis. Ces
essais de colonisation devaient être encore plus funestes
pour les campagnes, que la guerre et le passage d'armées

(i) Fustel de Coul.vnges, Le coloriât romai n dans les Recherches sur
quelques problèmes d'histoire. D'Arbois de Jubainville. Recherches sur
l'origine de la propriété foncière et les noms de lieux habités en France.
J. Flagh. Les origines de l'ancienne France, T. I, où la question est parti-
culièrement étudiée au point de vue juridique et administratif.



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d'invasion. Au bout de dix ans de ce régime, il ne devait
plus rien rester des établissements fondés clans le pays par
la civilisation latine.

Comme après l'invasion des troupes suédoises, pendant
la guerre de Trente ans, la population indigène devait se
trouver décimée. Bien des fugitifs ne rentrèrent jamais
sans doute dans les villas qu'ils avaient abandonnées.
Leurs biens tombèrent en déshérence. Plus rares encore
furent les propriétaires, à qui leurs ressources permirent
de rebâtir leurs habitations incendiées, et de recommen-
cer sur de nouveaux frais l'exploitation de leurs domaines.
Ceux qui parmi eux, avaient pu d'une façon ou d'une
autre soustraire leur fortune aux déprédations barbares,
devenaient tout naturellement, suivant l'usage de cette
époque, les protecteurs et les patrons des moins fortunés
qu'eux. Le retour victorieux des armées romaines, le
rétablissement de l'administration impériale, surtout le
voisinage de la cour de Trêves, dut en outre amener dans
le pays médiomatrice, un certain nombre de nouveaux
venus. La rapide et brillante renaissance du iv° siècle, ne
saurait s'expliquer que par un afflux d'éléments étrangers,
venant vivifier le pays épuisé par la guerre. La richesse
intacte de cette aristocratie nouvelle lui rendait facile,
au milieu de la ruine générale, la prise de possession de
la meilleure partie du sol. Entre ses mains, les domaines
devinrent de véritables royaumes (1). Le gouvernement
impérial qui trouvait son appui dans cette classe, lui
transmit toute la puissance administrative et fiscale.
Réduits à recourir à la recommandation et au précaire,
les possesseurs des petites et des moyennes exploitations
de jadis, se trouvèrent transformés en colons. Ils cultivè-
rent, dès lors, pour le compte de grands propriétaires
fonciers les « fiuidi » qu'ils possédaient à titre indépendant
avant l'invasion. C'était une nouvelle forme de colonisa-
tion. Favorisée par les empereurs, elle apportait à l'ex-
ploitation de la terre, la meilleure partie des ressources
économiques de l'Empire. Les effets heureux s'en firent
sentir les premiers. Le mouvement qui créa les grandes
villas fut l'origine du renouveau de force et de richesse

(1) L'expression est d'Ausone. Epis/., XXIII.



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qui signala, le dernier siècle de la domination romaine en
Gaule. Ce fut comme une floraison d'automne, extrême-
ment brillante, mais qui épuise hâtivement la plante qui
la produit. Par la loi naturelle des choses, les grandes
fortunes augmentant sans cesse au détriment des petites,
finirent à bref délai par absorber toute la richesse du
pays. La prospérité économique de la fin de l'empire
consomma la ruine de la classe moyenne qui, la première
avait adopté en Gaule les méthodes de colonisation latine,
et avait assuré pendant deux siècles la grandeur romaine.

C'est encore à la même époque, après les invasions,
que se produisit l'abandon des villes par l'aristocratie
gallo-romaine, en faveur des campagnes. Tout porte à
croire que les centres urbains étaient demeurés sans
aucune défense, jusqu'à ce que l'expérience des horreurs
de l'invasion ait fait sentir la nécessité de fortifications.
Les murailles dont nous retrouvons la trace aujourd'hui
autour de Metz et de Tarquimpol, datent sans doute de la
même époque que celles de la plupart des autres cités de
Gaule, c'est-à-dire de la fin du 111 e siècle. Une pre-
mière fois pillées de fond en comble, les villes s'en-
tourèrent d'une étroite ceinture de fortifications. Les édi-
fices qui en faisaient l'ornement et le charme : palais,
thermes monumentaux, amphithéâtres, ne purent être
relevés faute de ressources et de place. Les cités étaient
devenues tristes et resserrées (1). Les nobles allèrent
cherchera la campagne, dans leurs domaines, un séjour
plus agréable. Les modestes appartements d'habitations
accolés aux villas rustiques, ne pouvaient suffire aux goûts
grandioses des riches propriétaires. Ceux-ci voulaient
retrouver dans leurs maisons de campagne le luxe auquel
ils étaient accoutumés. C'est ainsi que nous voyons s'éle-
ver dans les campagnes médiomatrices des villas du genre
de celles de Rouhling, de Saint-Ulrich et de Teting.

Nous avons été frappés, en effet, en étudiant l'architec-
ture des villas, du caractère absolument conforme aux tra-
ditions classiques, que montre le plan tout entier, aussi
bien que chacune des parties de l'habitation. Les motifs
qui décorent les revêtements des parois et le stvle des
mosaïques rappellent, nous l'avons vu, l'art italien du
I er siècle de l'Empire.

Les architectes s'efforçaient d'élever des villas dignes
de celles de Tusculum, de Tibur, de Laurente et de Tos-
cane, de même qu'Ausone et Symmaque s'ingéniaient à
imiter le style épistolaire de Cicéron et de Pline le Jeune,
ou à prononcer des panégyriques rappelant le Panégvrique
de Trajan. Les grandes villas que nous venons d'étudier
sont une tardive manifestation de l'architecture classique,
au même titre que les Idylles et le poème de la Moselle
d'Ausone, représentent une sorte de renaissance de la
littérature classique.

C'est précisément à cette production littéraire contem-
poraine des villas de luxe, que nous devons de connaître
exactement la vie des riches propriétaires qui les habi-
taient. Sous les portiques de la villa, comme dans l'atrium
des maisons urbaines, se presse la foule des serviteurs et
des clients. Le propriétaire, seul maître, administre son
domaine comme il l'entend. Ce facile exercice du pouvoir
tient lieu chez les riches provinciaux des ambitions poli-
tiques des grands seigneurs romains.

Dans ces vastes demeures, tous les délices de la vie se
trouvent réunis (1), la campagne offre ce qu'elle a de plus
charmant, uni à tout le confort luxueux d'une habitation
grandiose. Par un dilettantisme raffiné, le maître aime à

(i) Paulin de Pella, Eucharisticon, V, 2o5-2ii.



184



diriger parfois lui-même, les travaux agricoles. Le poète
Syagrius, dans sa villa, coupe les foins et fait la ven-
dange (1). Consentius conduit la charrue (2); la chasse et
la pêche surtout, occupent les loisirs des riches gallo-
romains (3). La grande renommée d'un Ausone au iv° siè-
cle, les honneurs attribués à Symmaque, montrent que
cette société de propriétaires ruraux était également acces-
sible au charme des lettres (4).

A proximité de l'habitation du maître, les bâtiments
d'exploitation agricole et les demeures des colons cou-
vrent la pente du coteau. Là, sont installées les dépendan-
ces de toute sorte : granges, forges, tissanderies, teintu-
reries, poteries, tuileries, etc., en un mot tout ce qui est
nécessaire à la vie d'une nombreuse population. Les ins-
truments et ustensiles les plus variés se trouvent en effet
dans le voisinage des villas : enclumes, marteaux, outils
extrêmement nombreux et divers, pierres à aiguiser, mou-
lins de toutes dimensions, fers à cheval, etc., la villa
se suffît à elle-même. On y fabrique et on y répare tout ce
dont il peut être fait usage dans une vaste exploitation
agricole. L'industrie même y est exercée ; témoin les
tuileries établies auprès de la villa de Mackwiller. Dans
les ruines d'une villa trévire, àEiks, s'est trouvé un moule
destiné à la fabrication des vases de terre sigillée (5).

Les colons qui dépendent de la villa exercent tous ces
métiers. Les uns sont logés sans* doute dans les vastes
bâtiments, situés comme à Rouhling, derrière la villa
urbaine. D'autres peuvent être installés plus loin, et en
différents endroits du fundus.

La condition des travailleurs qui exploitent un grand

(i) Sidoine-Apollin., Epist., VIII, i4 et sq.

(2) Ibld., VIII, 4.

(3) Symmaque, Epist. I, 63, IV, 18 ; VII, i8.

(4) Jullian, La nie d'un gallo-romain à lu fin du IV* siècle. Ren. /fis/.,
47 ( 1 89 1 ) , p. 2/1 1 sqq. Glover, Life and Letters in the fourth century.
Cambridge, 1901.

(5) Bonn. Jahrb. 107, p. 2^1 . Ce fragmenl de moule représente : regis-
tre inférieur : une tête de taureau, registre supérieur : uu lièvre pour-
suivi par un chien ; par devant es! encore le train de derrière d'un ani-
mal. Le moule porte une légende explicative : ... lep[ïîs]... ursus. Toute
la représentation était entourée d'une inscription dont on lit encore
[conlen] dit turba 1er [arum].



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domaine, et la manière dont ils sont logés peut varier,
en effet, comme varient avec chaque fundus, les redevan-
ces et les obligations auxquelles sont astreints les colons.

Quoi qu'il en soit, nous constatons autour des grandes
villas un véritable groupement de la population rurale.
L'habitation du maître forme avec les demeures des colons
un tout complet. Elle n'a pu s'élever et ne subsiste que
parle travail de toute cette population qui l'entoure; les
colons de leurcôté profitent de la protection du riche pro-
priétaire, des avantages de la vaste association créée par
lui sur son domaine. Ils vivent de ce que veut bien leur
abandonner le maître sur les bénéfices delà grande cul-
ture. La villa, représente une forme particulière de l'orga-
nisation du travail, forme qui prévaut absolument vers la
fin du 111 e siècle, dans tout l'empire romain.

C'est vers cette époque, que nous la constatons dans le
pays médiomatrice. Elle ne dut pas y dépasser le milieu
du iv e siècle. Toutes les ruines de villas, que nous avons
étudiées, portent des traces évidentes d'incendie et durent
périr lors des nouvelles invasions barbares qui s'abattirent
en ce moment sur le pays.



* Survivance de la villa gallo-romaine au Moyen âge. —
Ni le système d'architecture qui fut celui des villas ro-
maines, ni le mode de colonisation, lié avec ce genre d'ha-
bitations par les traditions latines, ne disparurent en
même temps que la domination de Rome. Le plan général
des grandes villas se retrouve avec toutes ses parties
essentielles dans celui des abbayes. C'est des aggloméra-
tions constituées autour des villas que sont issues la plu-
part des communes rurales encore actuellement exis-
tantes.

Que l'on compare par exemple une villa telle que celle
de Saint-Ulrich, au type général des abbayes du Moyen
âge. L'analogie du plan est d'autant plus frappante que la
destination des édifices est plus différente. Les bâtiments
sont toujours bordés de ces longues galeries sur les-
quelles ouvrent les différents appartements. Au centre de
la façade, à la place de l'atrium de la villa, s'élève la cha-



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pelle de L'abbaye. Des passages ménagés de part et
d'autre conduisent à l'intérieur du monastère, comme ils
donnaient accès aux différentes parties de la villa, la cour
intérieure, péristyle entouré (Tune colonnade, n'est-elle
pas le modèle direct du cloître ? Derrière le cloître comme
derrière le péristyle, les jardins s'étendent à perte de vue.
Dernière analogie : à l'abbaye est toujours jointe dans
les temps primitifs une exploitation agricole, une véritable
villa rustica.

L'abbaye procède en effet directement de la villa. Les
laits nous permettent parfois de constater cette filiation
et l'histoire de très anciens couvents nous les montre
s'établissant dans les bâtiments mêmes des grandes vil-
las de luxe. Les vies de saints nous relatent assez fré-
quemment l'abandon d'une villa fait par un riche converti
à l'apôtre d'une région (1). Nous trouvons également aux
portes de Trêves, à Saint-Matthias, un exemple caractéris-
tique d'une abbaye construite sur les substructions d'une
villa romaine (2). Des traditions non interrompues, repor-
tent les origines de cette abbaye au début même de l'Eglise
trévire. Les restes de petites salles d'habitation, avec leur
pavage en ciment et leurs décorations murales ont été
retrouvées sous l'église. Des ruines plus nombreuses ont
été retrouvées dans le jardin de l'abbaye, transformé en
cimetière (3). Au xvi e siècle, des voyageurs nous décri-
vent encore dans ces jardins des restes de statues an-
tiques (4)

(4) Ortelius ei Vivianus, Itinerarium per nonnullas Galliae Belgicae
partes. Anvers, i58o, |». 59. « Est in eodem coemeterio, statua mulieris
jacentis ut fluminum Nymphae fingi solebant... eamarmore candidis-
siino ».
de l'Eglise trévire (1), on peut admettre que l'abbaye de
Saint-Matthias doit son origine à quelque très ancienne
communauté chrétienne, établie dans la villa même, ou
dans les ruines restaurées et seulement très légèrement
modifiées de la villa antique.

Les couvents ainsi constitués servirent de modèle à ceux
qui s'élevèrent plus tard. Les traditions chrétiennes, en
s'emparant du plan de la villa romaine, le généralisèrent
pour toutes les constructions monastiques. Elles en assu-
rèrent ainsi jusqu'à nos jours la persistance au moins dans
ses parties essentielles (2).

La villa mérovingienne, telle que nous la décrit Fortu-
nat, n'est également qu'une imitation de la villa gallo-
romaine. Pauvres imitations, il est vrai, et dont les plus
splendides n'approchent pas des grandioses constructions
que nous avons rencontrées dans le pays messin. Elles
n'en ont pas moins la prétention d'être construites à la ma-
nière romaine, sur un plan romain, décorées de portiques,
de stucs peints et de sculptures à la manière romaine. La
villa royale de Braines, résidence habituelle deCIotaire I,
fils de Clovis, n'est guère qu'une villa rustique. Mais
l'organisation du domaine au milieu duquel elle s'élève
est restée celle de la grande propriété gallo-romaine. A
l'habitation du maître sont accolés les bâtiments d'ex-
ploitation agricole et ateliers de toute sorte qui servent
aux besoins généraux de la culture. A proximité enfin, se
trouvent les demeures des colons et petits tenanciers, at-
tachés à la terre qu'ils cultivent (3). « Ces constructions
étagées sur les collines, dit Fustel deCoulanges, c'étaient
déjà le village et le château des époques suivantes (4). »

(i) La villa aurait été donnée par Albana, veuve d'un sénateur à saint
Euchaire, premier apôtre de Trêves. Rasée lors des persécutions de la lin
(hi m 1 ' siècle, elle aurail été rebâtie à peu près sur le. même plan, dès le
début du rve siècle. Gesta Treverorum, I, chap. XX, XXI, XXVI, XXXV.
Rolland. Acta Sanctorum, II, p. 920.

(2) Cacmont, Abécédaire d'Archéologie,^. 19, note l'emploi d'hypo-
caustes dans certains couvents du ix" siècle.

(.">- On trouvera un excellent tableau d'ensemble de la villa mérovin-
gienne, accompagné d'une reconstitution due à M. Garnier. Ammann et
<■ wimkr, Histoire île l'habitation humaine, p. 5qo sqq.

(4) L'alleu et le domaine rural , ad lin.



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C'est jusqu'à la villa gallo-romaine, que remonte en effet,
par l'intermédiaire de la villa mérovingienne, la constitu-
tion de la grande propriété féodale et la fondation de nos
villages modernes. Les noms de lieux en portent la preuve
évidente pour le pays messin, tout particulièrement. Ils
sont terminés pour la plupart, soit par la forme y qui re-
monte au suffixe « acum » soit par la forme germanique ing
ou ingcn (1). L'usage du suffixe acum en Gaule est bien
connu (2). Ajouté au nom du propriétaire du domaine, ou
du fondateur de la villa, il servait à désigner le fundus
et les bâtiments qui s'y élevaient. Le suffixe ingen semble
avoir joué le même rôle à l'époque mérovingienne, tandis
que le suffixe villare (devenu viller et weiler), daterait
surtout de l'époque carolingienne.

La forme particulière de chaque nom de lieu, ne prouve
rien, d'ailleurs, touchant la date de la constitution du
domaine, auquel correspond le village. Le sulïixe de
forme latine, acum, se trouve en effet ajouté à des noms
propres de forme purement germanique (.1). D'autre part,
des noms nouveaux, terminés en ingen, en viller, ou de
quelque autre façon ont pu, bien souvent, être donnés par
des propriétaires nouveaux, à des domaines très ancien-
nement constitués. Dans un rayon de 20 km. autour de
Metz, nous rencontrons près de 100 noms terminés ainsi
par le suffixe y. Cette forme est également extrêmement
fréquente dans la région de Château-Salins, tandis que
partout ailleurs la forme ingen l'emporte. Cette réparti-
tion si nette montre uniquement la persistance de la langue
latine dans certaines régions, tandis que l'influence ger-
manique devenait prépondérante dans le reste du pays.

Mais la formation même des noms de lieux, au moyen
d'un suffixe quelconque ajouté au nom propre d'un pro-
priétaire, prouve la persistance des habitudes latines. Si
la plupart des villages modernes portent aussi le nom

(i) Adolphe Schiber, Die Ortsnamen des Metzer Landes. Ann. Soc.IIist-
et A rck. Lorr-, [897, 1 .

(2) D'Arbois de Jubainviiae, Les noms de lieux etl'orig. de laprop.
foncière en Gaule.

(3) Ennkky, Hunneriaca villa {Docum. de <S;>X , formé probablemenl du
nom propre Hunnerich. Marly, Miriliacum (Docum. de 7^) formé du
nom propre Maro, Marilo. Cf. Marlenheim (Haute-Alsace), etc.



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d'un domaine ancien, c'est qu'ils remontent à un groupe-
ment de colons, constitué autour de quelque villa. Que
cette villa ait été construite à l'époque romaine, ou qu'elle
soit de date postérieure, il est impossible de le déterminer.
Ce qu'il y a de certain, c'est que l'organisation môme du
système de colonisation, auquel les villages actuels doi-
vent leur origine, remonte bien à l'époque gallo-romaine.
L'étude des grandes villas de lîouhling, de Saint-Ulrich,
de Teting, de Mackviller, nous a fait apercevoir en effet,
dès la fin du 111 e siècle de notre ère, tous les éléments qui
ont donné naissance aux formes postérieures de la colo-
nisation rurale.


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